Corpus 215

L’Union des Groupes et Ménétriers du Morvan célèbre depuis 47 ans son grand festival de la vielle : instrument traditionnel dont l’association (à la suite de l’association « Lai Pouèlée ») s’était engagée dans les années 1980 à renouveler et diffuser la pratique dans une perspective résolument ouverte sur le monde et favorisant la création artistique. Si d’autres initiatives essaimèrent depuis l’UGMM, comme le renouvellement de la pratique du violon traditionnel au travers du « Printemps de l’Auxois », la diffusion et une meilleure connaissance de la cornemuse via le soutien à des événements comme « Cornemuse d’Europe » ou encore la création d’une myriade d’ateliers de musique trad. et de groupes de musiciens et musiciennes formés au grand stage de Saint-Agnan, la Fête de la Vielle reste un moment phare dans l’agenda des cultures traditionnelles de Bourgogne. Et 47 ans, ce n’est pas rien ! Imaginez tous ces enfants devenus grandes figures de la musique traditionnelle et qui ont débuté à la terrasse du bistrot du « Bunny » à Anost. Pensez à ces morceaux qui ont tourné jusqu’au bout de la nuit, préfigurant les nouvelles mélodies devenues les tubes d’aujourd’hui. Les milliers de photos, les dizaines d’heures de vidéos et d’enregistrements sonores sont les traces précieuses de toutes ces rencontres qui fabriquent l’histoire de cette esthétique des musiques et danses traditionnelles en Bourgogne.

Rassembler des archives… Pourquoi ?

Cela peut sembler une occupation réservée à quelques férus d’histoire, et pourtant, rassembler les archives d’un tel événement permet justement d’en rappeler l’importance, de mieux comprendre ce qui s’y est joué, et de donner à cette Fête une dimension patrimoniale. C’est cela qui a conduit l’UGMM et la Maison du Patrimoine oral de Bourgogne à s’engager ensemble dans la collecte des archives des bénévoles de la Fête. Untel avait filmé toutes les années, une autre a pris des photos, un couple venant chaque été de Bretagne enregistrait tous les bals, etc. Ces documents épars et mélangés aux archives familiales ont nécessité la bonne volonté de toutes et tous pour émerger des cartons, des placards et des greniers. Lors de la Fête de la vielle 2022, un appel avait été lancé pendant le festival, puis nous avons relancé les potentiels propriétaires de bandes, et nous avons commencé à recevoir des cartons. Puis à la Fête de la Vielle 2023, nous avons organisé une soirée-concert pour montrer des bouts d’archives qui nous étaient arrivés et comment un groupe de jeunes musiciens, accompagnés par les artistes Aline Pilon, Jonas Thin et Kévin Lacombe, avait réussi à s’approprier des morceaux glanés au hasard des captations sonores des millésimes 1991-1995 de la Fête. La salle était comble, le public réagissait pour commenter une image, raconter un souvenir de cette année-là. Les jeunes musiciens ont ému parents et publics par la qualité de leurs arrangements. Nous avons aussi inauguré notre atelier « TAPage » (Transmission, Archives, Partage dans ton village), où une musicienne plonge dans les archives de la MPOB pour se familiariser avec les anciens du village, un vielleux, des chanteuses, et propose pendant deux heures à des praticiens amateurs d’entendre le récit de la vie de ces figures, les morceaux qu’il jouait et qu’elles chantaient. En prime, un album et des photos collectors à compiler à l’issue de chaque atelier TAPage. Rassembler des archives à la MPOB consiste à imaginer des formats autour de pratiques et de valeurs communes pour reforger des maillons manquant de la chaîne de transmission des cultures locales. Qui que vous soyez, quel que soit votre âge, vous y avez votre place et vous êtes les bienvenus dans cette culture gratuite et de sociabilité.

Découvrir des archives et piocher dans la boîte

Mais l’aventure ne s’arrête pas là. Car créer une archive est complexe. Il faut inventorier, numériser, décrire et analyser les contenus pour permettre de les valoriser. Si la MPOB accomplit cette chaîne de travail au compte-gouttes, à chaque arrivage d’une nouvelle archive liée aux cultures orales de Bourgogne, l’arrivée de ces fonds déposés par les bénévoles de l’UGMM, les musiciens et les festivaliers nous aurait un peu débordé. C’est pourquoi, nous avons cherché une personne pour effectuer un stage lié aux archives de la Fête de la vielle. Après avoir diffuser l’offre dans les universités et les grandes écoles du traitement des archives, après avoir pris conscience de la difficulté pour un ou une étudiante de se déplacer et se loger à Anost pour un stage de plusieurs mois, nous avons eu la candidature de Carine Kostrezewa, en formation au CNAM (Centre National des Arts et Métiers à Paris) qui remplissait tous les critères et qui avait une véritable motivation pour la proposition que nous faisions. Nous lui laissons la parole :

 

"Enfermée de ma propre initiative dans mon petit bocal (local de numérisation de la MPOB), je n’ai pas bullé. J’ai passé des heures et des jours à numériser des cassettes audio de la Fête de la Vielle et des collectages de l’UGMM. Et tout cela est venu compléter la base de données en ligne du patrimoine oral (patrimoine-oral.org). Certains extraits sont désormais consultables sur internet (quand les propriétaires nous ont donné les droits). Il est notamment possible d’écouter l’hommage rendu en 1991 au chanteur et conteur Maurice Digoy par La Galipotte (archive n°1376). Il aura fait rire les gens dans la salle, le jeune Guillaume Vigent, lors du concours de création, avec sa bourrée du bas de Joux et sa bourrée des pommiers… de Joux (archive n°1456). J’ai l’impression que chaque document a une âme. Me plonger au cœur de ces captations a vraiment été génial. Je voulais donc trouver une façon inédite de valoriser tous ces trésors. J’ai créé un espace documentaire interactif et participatif. Vous y accédez depuis le site de l’UGMM et celui de la MPOB. Vous vous trouvez alors dans la situation de celui ou celle qui ouvre un carton rempli de trésors sonores et audiovisuels, vous piochez au hasard, vous découvrez des morceaux inédits, vous vous amusez des anecdotes, vous jouez à relier des visages et des affiches, tout cela vous parle des ménétriers du Morvan et de tout ce boulot bénévole et professionnel pour permettre à la Fête de la Vielle d’exister. Durant ce travail de valorisation, j’ai demandé à quelques personnes de partager leur expérience de ce festival. Je me suis aperçue que même moi, j’en avais une. C’était en 1993, l’année du Baccalauréat de français. La musique et des gens qui dansent. Partout. Là, sur des marches d’escalier. Ici, dans le bistrot ou sur un petit espace laissé libre."
Carine Kostrzewa
stagiaire pour le projet Corpus 215

C’est à cela qu’on reconnaît une fête devenue populaire : tout le monde la connaît, chacun a quelque-chose à en dire et puis les sons et les images perdurent, se renouvellent et on a envie de les retrouver chaque année. Nous, on y sera, et vous ?

Ce projet, intitulé Corpus 215, a été possible grâce au Programme national de numérisation et de valorisation des contenus culturels du ministère de la Culture.